Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme : n’éclairez rien en bleu

En décembre 2007, les Nations Unies ont officiellement choisi le 2 avril comme journée mondiale de sensibilisation à l’autisme (World Autism Awareness Day). Célébrée pour la première fois en 2008, cette journée est censée permettre une plus grande sensibilisation du public aux problématiques des troubles du spectre autistique (TSA).

Cette initiative a évidemment été rapidement récupérée par des associations, telles que Autism Speaks (USA) et Vaincre l’autisme (France), qui appellent les institutions et le grand public à arborer la couleur bleue pour cette occasion, sous le nom de code « Light it up blue » (litt. Eclairez en bleu).

Pourtant, si vous respectez la communauté autiste, nous vous conseillons de ne rien éclairer en bleu le 2 avril ! Voici pourquoi…



La symbolique associative : soutien à l’eugénisme

La couleur bleue n’est pas liée aux TSA par hasard. Elle a été choisie par la très influente association américaine Autism Speaks (litt : L’autisme Parle) qui en a rapidement fait la couleur de son logo et celle de ses campagnes d’ « informations ». Cette couleur est donc symboliquement liée à cet organisme associatif.
Or, Autism Speaks est une association très problématique, qui dessert les intérêts des personnes autistes au lieu de les défendre !

Ses campagnes de « sensibilisation » et ses spots publicitaires sont toxiques pour les personnes concernées : on y entend et voit uniquement la souffrance des pauvres familles neurotypiques, décrites comme brisées par la naissance d’un enfant neuroatypique. L’un de ses spots télévisés les plus décriés montre notamment une mère de famille expliquant tranquillement devant sa petite fille autiste (âgée de 5 ou 6 ans) qu’elle a déjà envisagé de l’assassiner, mais qu’elle y a renoncé uniquement à cause de son autre enfant, qui lui est neurotypique…Ou comment signifier à son enfant qu’il mérite moins de vivre que son frère, en raison de son maillage cérébral !
Il s’agit ni plus ni moins que d’une rhétorique validiste, selon laquelle les personnes perçues comme handicapées seraient moins dignes de vivre qu’une personne valide et neurotypique.

Beaucoup plus grave, Autism Speaks utilise une part non négligeable de ses fonds pour rechercher des solutions d’éradication. Vous avez bien lu : éradication.
En effet, tout comme l’association française Vaincre l’autisme (un nom qui en dit long), Autism Speaks finance des laboratoires dont le but est de mettre au point un test de diagnostic pré-natal fiable pour les TSA, avec pour finalité de permettre l’avortement des fœtus concernés. Il s’agit donc ni plus ni moins d’un projet d’eugénisme mondial, afin d’éradiquer les êtres humains présentant des caractéristiques du spectre autistique.

Si vous avez un tant soi peu de considération pour les personnes autistes, je pense que vous comprendrez en quoi arborer un symbole eugéniste et validiste le 2 avril est inapproprié !

Je peux parler pour moi-même.
Illustration de Nathan McConnell (Growing Up Aspie)

La symbolique sexiste : l’invisibilisation des femmes autistes

Si Autism Speaks a choisi la couleur bleue pour son logo, c’est en grande partie pour adopter un symbole genré. En effet, les TSA étant plus souvent diagnostiqués chez les hommes (et personnes AMAB) que chez les femmes (et personnes AFAB), l’organisme a cru bon de choisir une couleur associée traditionnellement au genre masculin.
Malheureusement, cette initiative contribue à invisibiliser encore plus les femmes et personnes AFAB concernées par l’autisme ; qui sont déjà largement sous-diagnostiquées !
En cause : le sexisme ambiant et l’éducation genrée, qui considèrent normal (et même positif) que les personnes AFAB, les petites filles et les femmes soient plus silencieuses, plus timides et plus évitantes que les personnes AMAB et les hommes. Résultat : là où un petit garçon montrant des difficultés verbales ou un évitement du regard sera plus facilement repéré, une petite fille dans la même situation sera considérée comme…polie et discrète !

Encore une bonne raison pour ne pas arborer de bleu, ne serait-ce que par égard pour les femmes et les personnes AFAB concernées par les TSA.


La symbolique émotionnelle : la négation de la vie émotionnelle des autistes

L’autre raison majeure qui a poussé Autism Speaks à choisir le bleu est la prétendue absence d’émotions et d’empathie dont seraient affublés les autistes. Il s’agit ici de la célèbre dualité entre couleurs chaudes (jaune, rouge, orange…) et couleurs froides (bleu, vert…). La symbolique émotionnelle derrière le choix du bleu est de suggérer un affaiblissement, voire une absence de vie émotionnelle chez les personnes concernées – une véritable insulte à la communauté autiste, surtout pour qui connaît la vérité concernant les émotions des personnes vivant avec des TSA !

Car bien que de nombreuses personnes autistes souffrent d’alexithymie (trouble caractérisé par la difficulté à identifier ses émotions ou/et celles d’un tiers), elles sont aussi très nombreuses à témoigner d’une sensibilité intense et d’une profonde empathie, qui les épuisent et les déboussolent au quotidien. Le tableau brossé par les autistes concernant leur vie est bien souvent celui d’une montagne russe émotionnelle, qui va de pics en sommets sans jamais s’arrêter sur une zone stable : la tristesse est vécue comme un profond désespoir, la joie comme une explosion vibrante d’extase…Bref : une vie exacerbée, à fleur de peau !

Une couleur froide est loin, très loin de pouvoir exprimer une telle profondeur de sentiments et d’émotions…


Quelles couleurs utiliser, dans ce cas ?

Afin de prendre le contre-pied des grandes associations eugénistes, la communauté autiste incite le public à employer d’autres couleurs et d’autres hashtags pour manifester son soutien.
Vous pouvez choisir le rouge, l’or ou encore le taupe (beige), respectivement relayés sous les noms « Red Instead », « Go Gold » et « Tone it down Taupe ». Ce faisant, vous pourrez montrer que vous prenez en compte les revendications des personnes concernées, au lieu de vous borner à copier les agissements des autres neurotypiques !
Non contentes de marquer une dissociation nette avec les organismes validistes, ces couleurs ont également le mérite de symboliser l’acceptation et l’inclusion dans la société. En effet, la communauté autiste a surtout besoin de mesures concrètes d’inclusion (prise en compte de leurs spécificités d’apprentissage, aménagements adaptés du lieu de travail, arrêt des discriminations sociales neurovalidiste…), plutôt que d’illuminations bleues sur les Champs Elysées !

Enfin, n’oubliez pas que colorer son avatar Facebook pour 24 heures ne fait aucune différence dans la lutte pour les droits des autistes…
Si votre engagement est sincère, pensez plutôt à vous renseigner sur la question, à discuter avec des personnes concernées, et à proposer votre soutien actif à des associations ou à des groupes d’entraide.

Devenez un allié actif et engagé au quotidien : cela apportera bien plus d’aide que de simplement jouer avec un filtre Instagram, un seul jour par an !

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